Les néo-banques gagnent du terrain mais les banques traditionnelles contre-attaquent. S’inspirant des fintechs, elles s’emparent des dernières technologies de pointe pour inventer des offres inédites, du coaching digital au « bien-être financier ». Une transformation de fond pour le secteur, qui en profite pour se focaliser sur le conseil et les attentes du client.
Les banques traditionnelles ne laissent pas aux fintechs et néo-banques le monopole de l’innovation. Les offres enrichies et nouveaux services que ces institutions mettent au point répondent aux attentes de clients en quête d’autonomie. La banque élargit le périmètre traditionnel de ses activités et le conseiller se mue en coach financier. À la clé : une expérience client redynamisée et un client fidèle. Explications avec Sophie Heller, Chief Operating Officer Retail Banking & Services chez BNP Paribas.
Sur quelles innovations les banques traditionnelles doivent-elles travailler pour inventer les services bancaires de demain ?
Nous observons un besoin croissant de simplification venant des clients. Au-delà des services bancaires 2.0, ils recherchent des offres enrichies pour faciliter leur vie au quotidien dans de nombreux domaines : déménager, gérer leurs déplacements, faire du shopping, bien vieillir, etc. Des services intégrés correspondant à ces univers de besoins non bancaires commencent à émerger et sont un axe majeur de développement.
La banque a différents rôles à y jouer, qui peuvent aller de la fourniture d’une brique sécurisée de paiement/crédit jusqu’à une plateforme que la banque va opérer. Plusieurs exemples sont déjà opérationnels chez BNP Paribas. Lyf Pay combine dans une app mobile des solutions de paiement et de fidélité, que le client peut utiliser dans un réseau de magasins et de restaurants. Arval For Me permet aux particuliers d’assurer l’entretien de leur véhicule en bénéficiant de l’expérience de cet acteur spécialisé dans la gestion des flottes de véhicules pour les entreprises.
Des services adressant de nouveaux univers seront créés en 2019. Par exemple, une solution de gestion de la mobilité pour que les particuliers puissent payer les frais liés à l’automobile, aux parkings, aux péages, en offrant également la gestion comptable de ces frais pour ceux qui en ont besoin à des fins professionnelles.
Quels sont les nouveaux modèles et services à créer en réponse aux challenges des fintechs et néo-banques ?
Les fintechs qui ont du succès répondent souvent à un besoin précis du client ou une niche précise de clientèle, avec une obsession portée à l’expérience utilisateur. Elles proposent aussi des tarifs compétitifs. Les banques traditionnelles réagissent en créant leurs propres fintechs ou en les rachetant sans les intégrer pour préserver leur culture d’innovation, comme BNP Paribas l’a fait avec Lyf Pay et Compte Nickel. Et revoient leurs offres pour mieux adresser des besoins ou des cibles spécifiques.
Nickel, par exemple, apporte aux clients modestes une solution pour payer et être payé en toute sécurité. Hello Bank offre une expérience mobile first pour les jeunes. En Belgique, l’offre Hello4You destinée aux 18-27 ans séduit un jeune sur trois. En France, Hello Bank vise principalement les millennials, mais elle cible aussi les clients plus âgés, très sensibles au prix et qui ont des besoins simples.
Cela conduit-il à revoir l’organisation ou à s’appuyer sur de nouveaux partenaires ?
Les banques traditionnelles s’organisent aussi comme des fintechs. Elles regroupent des experts IT et Business au sein d’équipes travaillant en mode agile, afin de concevoir plus rapidement des services innovants. Elles nouent également des partenariats avec les fintechs. Au Luxembourg, nous généraliserons en mars une offre de coaching digital mise au point avec la startup israélienne Personetics, qui s’appuie sur l’analyse des transactions et des notifications.
Le client est prévenu lorsque son salaire a été viré, ou si des offres gratuites ou à prix réduit arrivent à échéance. En fonction du retour du client, le moteur auto-apprenant affine alors ses notifications. Les solutions prédictives envoient des alertes en cas d’augmentation des dépenses ou signalent une capacité d’épargne lorsque les dépenses baissent. Un simulateur de retraite permet aux Luxembourgeois de mettre en place des solutions afin d’anticiper toute chute de revenus future.
Le conseiller bancaire a-t-il vocation à devenir un coach pour ses clients ?
Les clients utilisent de plus en plus les applications mobiles pour gérer leur argent au quotidien. Le conseiller garde un rôle important pour préparer des projets complexes, mais la plupart du temps, il intervient en complémentarité du digital. C’est un véritable changement de posture. Il n’est plus là pour vendre un produit mais pour résoudre un problème. Cela implique de développer ses compétences relationnelles afin de créer une proximité permettant de construire avec le client les solutions qui lui correspondent le mieux.
Lorsqu’un client fait face à une difficulté financière, la réponse sera adaptée selon qu’elle est d’ordre structurel ou conjoncturel. Le conseil sera également personnalisé en fonction du moment : par exemple après un vol, lors d’un divorce ou au moment du départ à la retraite. Demain, le conseiller aura pour mission de développer le « bien-être financier » des clients. Cette notion résulte d’un diagnostic alliant sécurité et liberté.
À plus long terme, le diagnostic tourne autour de la prévoyance, notamment pour estimer si certains risques sont sous ou surassurés, et sur la capacité à préparer un projet personnel : une reconversion, des études à l’étranger pour les enfants…
Comment la technologie intervient-elle dans cette évolution ?
Des technologies de plus en plus performantes d’intelligence artificielle (IA) arrivent en soutien de l’expertise des conseillers. Il s’agit d’optimiser leur usage afin de libérer le conseiller de tâches automatisables et/ou lui apporter une aide pour mieux servir son client. Si un client arrive en agence sans avoir pris rendez-vous, l’IA permet par exemple de scanner à la volée l’ensemble de sa situation ou de ses interventions récentes sur le site de la banque.
Les chatbots (agents conversationnels) sont à même d’orienter le conseiller vers un ou deux sujets, même si ce dernier n’a pas préparé l’entretien avec le client. Ces technologies peuvent également proposer des réponses sur différents types de questions et faciliter l’approche du conseiller. C’est un vrai progrès dans la relation entre le conseiller et son client. « Les banques traditionnelles doivent revoir l’efficacité de leurs processus pour proposer les services de demain ».
L’on peut craindre les dérives de la digitalisation des banques, données personnelles collectées à notre insu, ou encore les possibilités de profiling qu’offre l’intelligence artificielle. Sans doute le prix à payer pour des services bancaires avec toujours plus de services et plus personnalisables, pour des couts en baisse