Carte bancaire les chiffres en relief vont disparaître
Apple s’apprête à lancer, cet été et d’abord aux Etats-Unis, une carte bancaire sans les chiffres en relief. Mais sera-t-elle vraiment plus sûre ? Et les rivaux de la firme californienne vont-ils, eux aussi, révolutionner le design des cartes bancaires ?
Fin mars, Apple créait l’événement en dévoilant, entre autres nouveautés, une carte bancaire à son effigie, baptisée tout simplement Apple Card. Une nouveauté présentée, comme d’habitude pour la firme californienne, comme une innovation majeure.
Parmi les caractéristiques de cette nouvelle carte, sa matière : elle est en effet fabriquée en métal, comme avant elle les cartes haut de gamme de N26 ou Revolut. Mais aussi son design. Elle fait, en effet, disparaître les chiffres en relief et certains des sigles traditionnellement imprimés, parfois , sur les cartes bancaires : pas de numéro à 16 chiffres, pas de date de validité, pas de mention débit ou crédit…
À quoi servent ces chiffres ? Comment l’Apple Card peut-elle s’en passer ? Est-elle annonciatrice d’une évolution générale du design des cartes bancaires ? Nous avons tenté de faire le tour de la question.
Quelles informations sont inscrites sur une carte bancaire ?
Traditionnellement, plusieurs mentions sont imprimées sur les cartes bancaires. Au recto :
- Le logo du ou des réseaux de paiement (CB, Visa, MasterCard).
- Le logo du paiement sans contact, le cas échéant.
- Le numéro unique de la carte, en relief. 16 chiffres en général, qui désignent notamment le réseau de paiement (Visa, Mastercard, American Express, etc.), le pays d’émission, la banque, la catégorie de la carte (débit ou crédit) et son niveau (classique, Gold, etc.), et intègrent également une clé de contrôle de cohérence du numéro.
- La date de fin de validité. (La durée de validité d’une carte bancaire est comprise entre 2 et 5 ans.).
- Le nom du porteur.
Au verso :
- Le type de carte : prépayée, débit ou crédit.
- Le cryptogramme visuel : 3 chiffres gravés dans la carte bancaire et destinés à s’assurer, dans le cadre d’un paiement à distance, que la personne qui paye est effectivement en possession de la carte physique.
- La signature du titulaire : destinée, dans certains pays où l’usage du code secret n’est pas encore généralisé, à s’assurer que la personne qui achète est bien titulaire de la carte.
Pourquoi le numéro de carte est-il traditionnellement imprimé en relief ?
Sur la plupart des cartes bancaires émises actuellement, le numéro unique, la date d’expiration et le nom du titulaire sont « embossés », c’est-à-dire qu’ils apparaissent en léger relief, sensible au toucher. Il s’agit d’une survivance du temps où les terminaux de paiement électroniques (TPE) – ces boîtiers dans lesquels on insère la carte et qui sont capables d’interroger sa puce ou sa piste magnétique – n’existaient pas, ou n’étaient pas encore généralisés. Pour régler un achat par carte, il fallait alors utiliser ce qu’on appelait couramment un « fer à repasser » ou un « sabot ». C’est-à-dire un outil permettant de transférer sur du papier carbone les informations inscrites sur la carte bancaire. D’où la nécessité de chiffres en relief.
Pourquoi est-ce obsolète ?
Tout simplement parce que ces « sabots » ont disparu depuis longtemps, au moins en France. Lancés à partir des années 1980. Les TPE, capables de lire les informations présentes dans la bande magnétique – ajoutée au dos des cartes depuis 1971 – ou dans la puce – inventée en 1974 – y sont depuis longtemps généralisés. L’embossage, pourtant, n’a pas disparu. Et pour cause : « A ce jour, le sabot existe toujours et il est toujours utilisé, par exemple en Amérique du Nord ou en zone Asie et Afrique », explique un spécialiste de la monétique, sous couvert d’anonymat. « Cela reste rare, majoritairement pour des empreintes, mais certains pays asiatiques comme la Thaïlande l’utilisent encore pour des paiements classiques. »
Les cartes embossées sont-elles plus fiables que les autres ?
C’est une opinion très répandue parmi les consommateurs : une carte embossée serait plus fiable, mieux acceptée dans les magasins, qu’une autre qui ne l’est pas. En théorie, le niveau d’acceptation d’une carte n’a pourtant rien à voir avec l’embossage. Cette idée préconçue vient sans doute en partie du fait que les cartes d’entrée de gamme, du type Electron ou Maestro, plus susceptibles de donner lieu à des refus d’autorisation en raison de leurs caractéristiques (plafonds plus limités, absence de découvert et contrôle du solde), ne sont, elles, pas imprimées en relief.
Dans les faits toutefois, il existe encore des cas de figure où il est nécessaire de posséder une carte embossée. « Dans de nombreux contextes, hors périmètre des paiements classiques, des commerçants contrôlent les cartes et refusent celles qui sont lisses », explique notre expert. C’est le cas notamment de certains loueurs de véhicule, y compris en France.
Pourquoi les émetteurs continuent-ils d’imprimer les informations sur la carte ?
Ce n’est pas seulement l’embossage qui peut aujourd’hui paraître obsolète. C’est plus généralement l’impression « en dur », sur la carte, des informations. Pourquoi ? Parce que, comme on l’a déjà vu, ces informations sont contenues dans la puce et la piste électronique de la carte, et que c’est là que le TPE va les chercher.
Ce point de vue est toutefois à nuancer. Les cartes bancaires internationales à puce sont en effet conçues pour fonctionner dans le monde entier. Et si en France, les TPE capables d’interroger la puce de la carte et utilisant un code secret à 4 chiffres pour authentifier l’achat – un standard appelé EMV, pour Europay Mastercard Visa – sont généralisés, ce n’est pas le cas partout. Ainsi, lors d’un voyage à l’étranger, un commerçant peut être amené à vérifier, de visu, les 16 chiffres de l’identifiant unique de la carte, ainsi que sa date d’expiration ou la signature du titulaire, avant d’accepter un paiement. « Dans certains pays, les commerçants effectuent même la saisie manuelle des 16 chiffres et renseignent l’expiration de la carte sur le TPE ».
Une carte sans chiffres en relief est-elle plus sûre ?
Le fait que les chiffres soient imprimés sur la carte a un inconvénient : il expose aux yeux de tiers (des commerçants notamment) des informations relativement sensibles. En effet, avec le numéro unique, la date de validité et le cryptogramme, il est possible pour un usurpateur d’effectuer des achats à distance, notamment sur des sites d’e-commerce. C’est d’ailleurs pour limiter ce risque que certaines banques proposent désormais des cartes bancaires à cryptogramme dynamique.
Des motivations surtout marketing
Il faut toutefois nuancer ce risque. Il existe en effet des techniques beaucoup plus efficaces pour récupérer des identifiants de carte bancaires : le skimming par exemple, qui consiste à arrimer discrètement à un distributeur automatique un petit boîtier qui puise ces informations directement dans la piste magnétique. Les paiements à distance, par ailleurs, sont de plus en plus souvent sécurisés grâce au recours à un niveau supplémentaire d’authentification, souvent un code à usage unique reçu par SMS.
Dans ce contexte, cette « faille » justifie-t-elle de faire disparaître ces informations de la carte ? La réponse est plutôt non. Les raisons d’Apple, qui ne cesse de vanter la sécurité et la confidentialité de sa carte sans chiffres (1), semblent surtout de nature marketing. « Si l’absence de chiffres est marginale du point de vue de la sécurité, elle inspire un sentiment de confiance ».
Bilan : la carte sans chiffres va-t-elle devenir un standard ?
Au final, Apple, par sa puissance marketing, va-t-elle réussir à « réinventer » la carte bancaire, comme elle l’a fait il y a un peu de 10 ans pour le mobile avec l’iPhone ? Va-t-elle lancer la mode de la carte lisse et nue ? De nombreux experts le pensent : « Les utilisateurs sont de plus en plus attachés au design de la carte. C’est ça qui de plus en plus fera la différence. Il y aura sans doute des gens pour regretter l’époque des ‘’sabots’’, mais plus de gens encore à vouloir disposer du logo d’Apple sur leur carte ».
Vers la fin de l’embossage
Cette évolution, toutefois, ne va pas encore de soi. La créativité des émetteurs, notamment des néo-banques, s’opposent aux patrons imposés par les réseaux d’acceptation Visa ou Mastercard. « Il y a des règles, et elles doivent être suivies », confirme notre expert. Ainsi, pour lui, la tendance est à la fin des chiffres en relief, pour des raisons de sécurité – « Les réseaux préfèrent voir l’embossage disparaître afin que la copie par carbone des numéros ne soit plus possible -, mais pas à la fin des chiffres imprimés, encore trop souvent utiles.